Je. Suis. Capable. (d’écrire en anglais)

Écrire un article, c’est difficile. On a souvent des co-auteurs mais on écrit rarement à plusieurs. Le premier auteur d’un article est habituellement celui qui a pas mal tout fait et surtout celui qui écrit. Seul.

Écrire un article, c’est assez difficile. Même durant une sabbatique ordinaire. Mais écrire un article en anglais, c’est vraiment difficile. J’ai appris à le faire durant mon doctorat grâce aux encouragements soutenus de ma directrice de recherche (merci A.). Et puis, si on veut être lu par un peu de monde, un peu partout… (je ne dis pas que c’est vrai pour tous les domaines de recherche mais pour le mien ça l’est, ce qui est un paradoxe parce que notre objet d’étude est un peu la langue française – mais c’est une autre histoire). Et puis, les connaissances et compétences professionnelles que j’enseigne aux étudiants sont pas mal collées sur les USA. (On est aussi géographiquement pas mal collés sur les USA – mais ça aussi c’est une autre histoire).

Alors oui, on essaie de publier dans des revues scientifiques des USA (ou de la Grande-Bretagne). Alors oui, j’écris directement en anglais. C’est un exploit pour moi qui ai grandi dans une région éloignée où l’anglais était inexistant. Où per-son-ne ne parlait anglais. Où on n’avait même pas de chaînes de télé en anglais (ce n’est qu’à l’adolescence que j’ai appris mes premiers balbutiements d’anglais en regardant « Three’s Company » – oups ça trahit mon âge ça). J’ai fait mes premières lectures en anglais à l’université.

Écrire en anglais, c’est vraiment difficile, disais-je. J’estime que cela me prend de trois à quatre fois plus de temps qu’en français – parce que c’est difficile certes, mais aussi parce que je veux tellement éviter que l’on critique l’article que je soumets au sujet de la langue écrite. Je me dis que si la langue est impeccable, les « reviewers » seront plus enclins à apprécier le contenu de mon article.

Et ça marche. Quatre fois sur cinq. Je ne dis pas que je n’ai pas eu de commentaires durs sur le contenu de la discussion, sur la présentation visuelle des résultats, sur les hypothèses ou sur la manière d’exposer le problème. Mais on critique généralement positivement mon style d’écriture (même Monsieur Top Chercheur m’a dit que j’écrivais bien ; même ma co-auteure, prof dans la métropole, parfaitement bilingue – si bilingue qu’elle parle sans accent et qu’on la croit anglophone – m’a dit que j’écrivais bien (je ne crois pas qu’elle pratique la flagornerie).

Les deux dernières soumissions d’articles que j’ai faites en français, dans des revues scientifiques (en français, dans des revues du Canada) ont été refusées. Dans les deux cas, on ne m’a même pas suggéré de faire des révisions majeures et de resoumettre. Il s’agissait d’un rejet sans appel. Dans l’un des deux cas, avant même d’envoyer le manuscrit aux « reviewers », on me l’a retourné et on m’a fait faire plein de changements dans le style, dans l’écriture elle-même. On m’a demandé des phrases plus courtes (trop courtes, j’ai trouvé). On m’a demandé de « simplifier » la syntaxe (de changer pour trop simple, j’ai trouvé). On m’a fait changer la tournure des phrases relatives et des propositions enchâssées (on baissait le niveau, j’ai trouvé).

Je voulais (vraiment) écrire mon prochain article en français. Maintenant, je ne suis plus sûre du tout. J’ignore si c’est une coïncidence tout ça : mais comme j’ai souvent tendance à penser que tout est un peu une loterie en recherche, j’ai l’impression que je suis dans une «  période de malchance » (a losing streak dirait-on à Las Vegas) pour soumettre en français (c’est ridicule, je sais).

C’est mon ami Bob qui va m’en vouloir : haut placé dans un organisme lié à la langue française, il me fait si souvent part de sa consternation devant le fait que les chercheurs, ici, publient (trop) peu en français. C’est vrai. Mais quand on a l’impression que pour certaines revues en français ce n’est plus important de respecter la « belle » écriture, ce n’est pas intéressant des « belles » phrases bien construites (on s’entend, je ne parle pas de Marcel Proust ici) – et que franchement, les revues dans lesquelles on peut soumettre nos recherches ne courent pas les rues – on a envie d’écrire en anglais quand on en est capable.

Désolée Bob.

Une réflexion sur “Je. Suis. Capable. (d’écrire en anglais)

Laisser un commentaire